Marie Vialard-Hauser co-fondatrice de l’Association Ensemble & Différents nous a accordé une interview suite à l’annonce du soutien d’Inddigo pour les années 2019 & 2020. Dans celle-ci, elle revient sur le rôle de l’association et sa volonté de proposer un lieu de vie différent. L’Association Ensemble & Différents porte le projet La Coloc’ des Billes de Clown, un habitat participatif à destination des personnes en situation de handicap.

1/ Quel est votre rôle dans cette association ?

Je suis la fondatrice de l’association et maman de Lucile, née avec un polyhandicap. J’ai fondé cette association avec une amie qui n’était pas concernée par le sujet du handicap mais qui y était sensible. 

2/ Pouvez-vous nous présenter l’association Ensemble & Différents ?

L’association Ensemble & Différents a été fondée en 2002. L’idée de départ était de créer une crèche pour accueillir des enfants en situation de handicap mais aussi des enfants valides. Cependant, nous avons rencontré des difficultés dans la création de cette structure. C’est pourquoi nous avons fait le choix de mettre en œuvre des formations à destination des structures existantes pour les former et les sensibiliser à l’accueil des enfants en situation de handicap.

Ce qui nous a rassemblé à la création de l’association et qui nous mobilise encore aujourd’hui, c’est de participer au changement de regard sur le handicap pour décloisonner les mondes. Nous créons ainsi des moments de rencontre réguliers pour faire tomber les peurs et se connaitre individuellement dans nos spécificités.

Nous avons ainsi organisé des ateliers (théâtre, peinture, chant, etc.) et des événements (repas dans le noir, festival, les rencontres de la fragilité joyeuse) avec des personnes dites « valides » et des personnes avec handicaps, des moments de partage et d’échange entre familles concernées par le handicap mais aussi avec des familles sensibles à ce sujet et qui voulaient être là pour partager ces moments.

Un des temps fort du soutien de l’association a été le moment où nous avons décidé de retirer notre fille du centre dans lequel elle était accueillie. Celui-ci était inadapté et ne permettait pas à notre fille de garder un lien avec le monde extérieur.

L’association nous a alors soutenu dans la création d’un projet alternatif d’accompagnement grâce auquel elle a pu être accompagnée à notre domicile par des professionnels. Elle a ainsi pu aller à l’école puis au collège.

L’association a alors rassemblé des fonds issus de donateurs privés pour compléter l’aide reçue par l’état qui n’était pas suffisante pour salarier des personnes tout au long de la journée.

Ensemble & Différents a pour objectif de soutenir des projets alternatifs d’accompagnement. Depuis quelques années nous travaillons sur un projet visant à créer un habitat inclusif, partagé et accompagné à destination des personnes en situation de handicap mais aussi ouvert à des personnes valides.

3/ Comment vous est venue l’idée de créer un habitat participatif à destination des personnes en situation de handicap ?

Devant le désir de notre fille depuis la fin de son adolescence de ne plus vivre avec ses parents et de s’émanciper dans sa vie de jeune adulte nous avons fait appel à une personne qui l’accompagnait déjà au quotidien à notre domicile et qui a proposé de l’accueillir chez elle 2 à 3 jours par semaine. Cela a permis à Lucile de s’émanciper pour vraiment vivre son passage à l’âge adulte. Quand elle était chez cette personne, elle pouvait s’autoriser à être différente et ainsi se découvrir hors du regard parental. Pendant 3 ans Lucile est allée 3 jours par semaine chez cette accompagnatrice, c’était la première étape. Quand elle n’a plus été en mesure d’accueillir Lucile, nous nous sommes dit qu’il n’était pas possible de revenir en arrière, nous avons donc essayé de trouver une solution pour qu’elle ait la possibilité de vivre chez elle.

Lucile avait le désir de vivre avec des personnes qui lui ressemblent, qui comme elle sont dépendantes et n’ont pas l’usage de la parole. Elle a alors rencontré une amie, Estelle et il a été très vite clair pour toutes les deux qu’elles avaient envie de vivre ensemble.

Nous avons alors eu l’idée de ce projet sur lequel nous travaillons depuis 5 ans.

Celui-ci s’est concrétisé lors de notre rencontre avec la foncière Chênelet, entreprise d’insertion engagée pour l’économie locale et durable. Avec 10 ans d’expérience dans la construction de logements sociaux, ils étaient le partenaire idéal.

Lors de notre rencontre et quand nous leur avons présenté notre projet, ils ont émis l’envie d’être partenaire pour le construire avec nous. Aujourd’hui, c’est eux qui opèrent la construction des différents lieux de vie avec pour objectif la mise en place d’un habitat optimisé pour que les habitant aient un reste à vivre important.

4/ En quoi ce projet est-il innovant ?

La réglementation incite à la création de ce type de structure, avec notamment la loi ELAN (Evolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique) du 23 novembre 2018 qui a pour vocation de libérer la construction et de protéger les plus fragiles. Cependant, encore peux de projets voient le jour en France.

Pour l’instant la seule réponse est de vivre chez ses parents ou en institutions. Ce projet est donc précurseur.

Il est aussi innovant par son mode de gouvernance. Nous avons à cœur de réfléchir au fonctionnement des équipes d’accompagnants pour développer une coopérative sur le mode de l’auto-organisation des équipes. Nous nous sommes ainsi inspirés d’un modèle néerlandais développé par l’entreprise Buurtzorg, fondée en 2007 par un infirmier, Jos de Block, qui devant la souffrance des soignants et des personnes accompagnées a proposé une autre forme d’organisation des équipes de soignants basée autour de 3 points clés :
  • Disposer d’une vision globale de la personne et de ses besoins en ne se concentrant pas uniquement sur l’aspect soin
  • Privilégier la qualité de la relation humaine soignant-soigné
  • Développer l’autonomie du patient

Son projet a reçu un franc succès puisqu’il a réussi à fédérer tous les soignants de Hollande.

Enfin, le Chênelet nous a amené son expertise dans la construction de bâtiments durables et performants d’un point de vue énergétique.

6/ Depuis quand travaillez-vous sur ce projet ? Quand verra-t-il le jour ?

Nous travaillons sur ce projet depuis 2014. L’objectif est qu’il voit le jour d’ici 18 mois, maximum 2 ans.
Nous espérons poser la première pierre cet été.

7/ Selon vous, ce projet peut-il se démultiplier ?

Ce type de projet est très créateur d’emplois. Dans cette colocation de 3 personnes, nous aurons besoin de 3 personnes salariées au quotidien pour accompagner les résidants.

Nous faisons partie du projet lauréat dans le cadre de l’appel à projet LACHPA porté par l’association Familles Solidaires qui accompagne des projets d’habitats inclusifs portés par des aidants familiaux. Nous avons été retenus pour bénéficier d’un accompagnement : diagnostic, temps de formation, rencontre avec d’autres concepteurs de projets, aide pour la communication et mise en relation avec des partenaires institutionnels.

Leur objectif, montrer ce qui existe en terme d’habitat partagé et accompagné et mettre en valeur le fait que ce modèle est duplicable pour le développer.

8/ Quel a été votre ressenti quand vous avez appris le soutien d’Inddigo ?

Nous nous sommes sentis reconnus car cela valide une nouvelle fois l’intérêt de notre projet qui plus est par un acteur qui n’est pas dans le monde du handicap. Cela nous apporte de l’énergie pour surmonter les obstacles. C’est un soutien qui va nous permettre d’avancer. Cela fait sens pour nous qu’Inddigo nous accompagne car le développement durable est central dans notre démarche par la réduction de son empreinte écologique et par notre volonté de préserver la biodiversité mais aussi de remettre de la biodiversité humaine dans notre société.

Le soutien d’Inddigo va nous permettre de former les personnes impliquées dans le projet aux outils de la gouvernance partagée et de mettre en place l’accompagnement des familles dans cette transition.